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► fr&O ^^.JB-'! -■•
Jvec approbation des Supérieurs.
LtON.-lMrR DE J. B. PELAOALD-
ANNALES
DE LA
PROPAGATION DE LA FOI.
RECUEIL PÉRIODIQUE
DES LETTRES DES ÉTÊQUES ET DES MISSIONNAIRES
DES MISSIONS DES DEUX MONDES , ET DE TOUS LES DOCUMENTS
RELATIFS AUX MISSIONS ET A l'ŒUVBE DE LA
PROPAGATION DE LA FOI.
COLLECTIOIS FAISANT SUITE AUX LETTRES EDIFIAMES.
TOME DIX-HUITIEME.
A LYON,
CHEZ L'ÉDITEUR DES ANNALES,
Rue du Pérat, n" C.
1S4G.
MISSIONS DE L'OCÉAISIE,
Lettre du P. Mathieu , Provicairc apostolique de la société de Marie , à sa famille.
VaHis,20mai 1844.
« Bien chers Parents,
a Voici bieniôl six mois que je suis à Wallis, au mi- lieu de ce bon peuple que Dieu bénit toujours avec une inépuisable tendresse : c'est plus de temps qu'il n'en fal- lait pour bien connaître ma nouvelle pairie. Je puis donc maintenant vous en tracer un tableau lîdèle , et je le fais avec joie , parce qu'en vonspeignant nos chers néophytes, je suis bien sîlr de vous les faire aimer..
« L'Ile de Wallis a près de dix lieues de tour ; elle est environnée de plusieurs îlots, et, par delà, enfermée dans une ceinture de récifs, qui ne laisse d'entrée aux navires que par une passe très-étroite. Sa population n'excède
XVIII. 101. JANVIER 1846.
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pas deux mille six cents habitants. Il y a une dizaine d'années, ces hommes étaient réputés très-féroces; ils ont en effet, à une époque assez récente, égorgé trente Européens, brûlé un bâtiment anglais , et massacre tout l'équipage , à l'exception d'un mousse. Depuis , la grâce les a si bien changés, qu'il n'y a guère de ports dans toute rOcéanie, où les étrangers soient mieux reçus et plus en sûreté.
a Au physique, le type des Wallisiens se dessine avec une certaine grandeur ; leur physionomie, généralement noble et bien caractérisée, diffère peu de celle des Euro- péens; leurs longs cheveux flottant sur les épaules, ou crêpés autour de la tête en forme de turban, donnent une expression à la fois originale et fière à leurs traits ba- sanés. Ils ont pour vêtement, depuis les aisselles jusqu'aux pieds, une grande tape qui enveloppe plusieurs fois le corps, avec une natte fine^ serrée autour de la taille par une ceinture de eorde. On remarque qu'ils ont presque tous le petit doigt de la main coupé; mutilation qu'ils s'imposaient en l'honneur de leurs dieux. C^st aujour- d'hui le seul vestige qui reste de leurs anciennes su - perstitions.
« ^os insulaires sont d'un naturel enjoué; ils aiment la bonne plaisanterie et s'y connaissent. Rien n'égale le respect qu'ils portent à leurs IMissionnaires , si ce n'est l'affection qu'ils leur témoignent. Parmi eux la politesse a ses règles aussi strictement observées qu'en France ; nous devons les connaître et nous y conformer, au moins jusqu'à un certain point. Le corcf,par exemple, fait partie obligée de toutes les réunions ; on ne peut rendi-e ou re- cevoir une visite sans que la racine traditionnelle soit pré- sentée, mâchée et distribuée avec toutes les cérémonies voulues.
« Ce qui distingue surtout les indigènes de Wallis ,
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r'esl leur îïoîU prononcé pour la musique. On peut dire qu'ils chantent continuellement , soit qu'ils iravailleni , soit qu'ils marchent, soit qu'ils perlent des fardeaux, ou qu'ils prient. L'harmonie a pour eux tant d'altrait, qu'Us lui sacrifient volontiers les heures destinées au repos; on dirait qu'après avoir porté le poids du jour et de la cha- leur, ils se délassent mieux au charme de leurs accords fjue dans le calme d'un paisible sommeil. Dans les belles soirées d'été, lorsque l'île est rafraîchie par la brise , et qu'un astre plus doux a remplacé le soleil des tropiques, alors la population se réimit dans quelque site gracieux, sous un grand arbre, ou à la porte de l'église. Là , nos vieillards s'asseyent sur des nattes ; à quelque distance, la jeunesse prend place sur la pelouse, par groupes de ciiK] à six personnes rangées en cercle et tournées en face les unes des autres; ces groupes sont autant de chœurs de mu- siciens et de musiciennes parfaitement exercés. Quoique les Wallisiens aient presque tous de très-belles voix, n'est pas admis qui veut à prendre part au concert ; il n'y a que ceux dont l'organe, reconnu pur et fiexible, seppéte avec plus de bonheur aux effets de l'harmonie.
« Alors, chaque chœur se fait entendre tour à tour: les uns répètent sans cesse le refrain, les autres font le chant, ou donnent une expression plus animée au récita- tif ; et ces accords se succèdent ainsi durant la nuit en- tière, sans autre interruption que les applaudissements des auditeurs.
o Si l'on remarque dans les voix beaucoup d'ensemble et de mesure, on est encore plus frappé de l'immobilité et du calme imperturbable des musiciens. Quoique les chants soient parfois dans le genre comique, et qu'ils excitent les éclats de rire de toute l'assemblée, on ne voit jamais le plus léger mouvement dans la physionomie de ceux qui exécutent. Quand le motif est triste, des larme*
s
coulent quelquefois de leurs yeux, mais sans que leur voix soit le moins du monde altérée.
« Le refrain qui est, d'ordinaire, quelque mot nouveau introduit par les Missionnaires dans leur langue, n'a souvent aucun rapport avec le reste du chant : c'est une espèce de bourdon qui n'est là que pour l'harmonie ; on le répète deux ou trois fois à la fin, et on termine brusque- ment en le laissant iuaclievé.
a Outre ses concerts nocturnes, Wallis a encore des chants de promenade ou de marche. Il arrive souvent, le dimanche^ que j'entends tout à coup les hommes et les jeunes gens entonner leur lau (chant) avec des voix de stentor. Ils parcourent ainsi d'un pas grave les différents quartiers du village. Lorsqu'on les invite à entrer dans une maison pour y prendre le cava , ils acceptent , puis recommencent leur marche jusqu'à l'hernie du chapelet ou jusqu'à la prière du soir. Leur thème musical est presque toujours inspiré par la reconnaissance ou la Religion ; en voici quelques phrases des plus populaires : « Amitié au M Père Roudaire , au Père Mathieu ! Ce sont nos prêtres « et nœ pilotes ; ils conduisent notre pirogue au ciel. » — Ou bien : « Amour et respect au souverain Pontife « qui règne à Rome !» — Ou encore : « Prions saint « Pierre qui lient les clefs du Paradis^ pour qu'il nous en « ouvre la porte. »
« 11 y a des chants innombrables en l'honneur de N. S. P. le Pape Grégoire XVI, et du Prince des Apôtres, auquel ils ont une grande dévotion. Ils mettent également en musique les histoires de l'ancien et du nouveau Testa- ment, et toutes les vérités de la Religion à mesure qu'ils les apprennent. Pour vous donner une idée de ces hymnes pieux, je vous envoie un cantique composé par la fille du roi, lorsque Mgr Bataillon annonça qu'il s'absenterait pour visiter son vicariat apostolique : j'ai tûdié de le tra-
9 (luire aussi liucralement que possible, mais sans esjxnrde faire passer dans le françîiis ces tournures si naives, cette douceur si harmonieuse de la langue des Wallisiens, qui se prête admirablement à tous les sentiments qu'ils veulent exprimer.
« Evèque, partez; moi, je pleure.
« Est-il chose plus déchirante que d'entendre notre « père qui nous dit : Mes enfants , vous prierez sans « cesse pour moi; souvenez-vous de celui qui vous a faits « enfants de Jésus-Christ, quand vous offrirez à Marie la « couronne du rosaire.... Ecoulez mes dernières inslmc- tt lions; je vais me séparer de vous.
« Pouvions-nous être frappés d'un coup plus sensible ! « Parents d'Ouvéa, pleurons; il va partir; n'ayons tous « qu'un seul cœur pour pleurer.
o Si notre père s'éloigne , que vont devenir ses en- « fants? Quand reviendra notre père? hélas! reviendra- o t-il jamais ? Pleurons !
« Mais le ciel le veut. Un message saint lui a été ap- « porté par Doucrre. On lui a dit : Evêquc , une portion « de l'univers a été assignée à toi seul par le Père de tous « les chrétiens.
« 0 mon père, partez, mais souvenez-vous de vos en- ce fants, et revenez les bénir; car ils sont sans force, « comme la jeune plante qui vient de naître.
« 0 Jésus , déjà nous le ravir ! laissez-nous encore « notre père ; car pour moi, quand j'entends son adieu, « je sens mon ame hésiter entre la vie et la mort. Oui, il « vaut mieux que je m'en aille de ce monde avant le « départ de notre père. Qu'il soit , du moins, quelque a temps encore le soutien de notre faiblesse. Notre âme « est chancelante, et, s'il ne la fortifie, elle tombera « dans la mort.
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« Père céleste, aye^ pitié de l'enfant qui vous prie. « Prononcez sur moi la sentence que vous vendiez; que « je le suive, car je me sens découragée et faible.
« Je ne puis supporter désormais un plus long exil a dans ce monde; si noire soniien s'éloigne de nous, « n'est'il pas à craindre que nous ne retournions aux « idoles que nous avons adorées?
« C'est pourquoi je désire tant, Père céleste, de me « réunir à vous, pour célébrer à jamais dans mes chanis « votre teute-puissante majesté. »
« — Je suis dérangé par une femme de la paroisse , qui vient regarder à ma porte pour voir ce que je fais; c'est leur habitude. Elle-me demande à qui j'écris. — Je lui réponds que c'est à mes parents. — Il faut encore lui décliner tous vos noms. — A. mon tour, je lui demande si elle n'a rien à vous faire dire. — Oui , elle présente ses amitiés à Azeleka (Angélique) ; elle serait bien aise de la voir venir ici pour instruire les femmes d'Ouvéa ; elle me prie de vous remercier d'avoir envoyé un prètrr qui peut leur donner les sacrements et la sainte commu- nion ; car, ajoute-l-el!e, Tile était bien mallieureuse avant l'arrivée des Missionnaires.
« C'est une chose amusante de voir l'étonnement d^ ces sauvages lorsque arrive d'Europe quelque objet qu'ils n'ont pas encore vu. Apres l'avoir bien regardé, ils le touchent, ils le sentent, ils le tournent de toute manière, puis ils expriment leur admiration par une exclamation ou lin petit claquement de langue. Je les inirigue beau- coup avec un canif tailie-plume. C'est un cri d'admira- tion chaque fois que la plume en sort toute taillée.
« Il y a peu de jours , on débarqua un cheval que le gouverneur français de Taïii envoyait en présent au roi de Wallis. La pauvre bête avait été si maltraitée à bord
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par le roulis, qu'elle faisait pilié. Aussitôt arrivée à terre, elle fut entourée d'une foule de naturels , qui ne pou- vaient se lasser de contempler un si grand animal. Ils l'appelèrent ensuite un gros chien ; mais ils en avaient peur, et à chaque mouvement qu'il faisait^ les admira- teurs prenaient la fuite. Ils me demandaient s'il était mccliant, s'il mangeait les hommes quand il était en colère , s'il aii-nait la viande , s'il mordait comme les chiens. Moi je le caressais pour les rassurer. On lui apporta des feuilles et de l'herbe ; ils l'examinèrent manger très -longtemps , regardant comme ses dents étaient faites ; enfin , après s'être lassés en observations et en conjectures, ils s'en allèrent en me disant : « Main- o tenant nous connaissons cette grande béte^ nous l'avons a vue tout faire ; il ne nous reste qu'à l'entendre chanter. » « Les maisons des Wallisiens consistent en un grand toit de forme circulaire , couvert de feuilles, et soutenu par des pieux. A l'intérieur sont étendues des nattes, sur lesquelles on s'assied, on se couche et on mange. Quoique les habitations soient disséminées presque sur toute la côte, il y a cependant trois points ou villages principaux, cil l'on a construit des églises. L'une est dédiée à Notre- Dame de Bon-Espoir , l'autre à saint Joseph , et la troisième à saint Pierre. Ces églises sont en bois. Toutes les pièces en sont unies avec de petites cordes de coco ; les planches même sont fixées de cette manière ; et cependant les plus violents orages ne peuvent les ébran- ler. Il y a , dans chaque sanctuaire, une lampe qui brûle devant le Saint-Sacrement. Les femmes l'entre- tiennent avec un soin extraordinaire. Chaque fois qu'il fait grand vent , je les vois se tenir auprès de la lampe avec un tison, la nuit aussi bien que le jour, pour la ral- lumer dans le cas où elle viendrait à s'éteindre. A quelques pas de l'église s'élève une maison carrée, divisée
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en petites chambres pour nos confrères , et près de îà une habitation pour les jeunes gens qui veulent partager leurs fatigues. Ces jeunes gens sont au nombre de trente ou quarante ; ils se sont offerts d'eux-mêmes aux Mission- naires pour les servir, les accompagner , et seconder nos frères dans leurs travaux.
« 26 juin. — Je reprends ma lettre , interrompue par un événement qui m'a donné pour un instant quelques inquiétudes. Le lendemain du départ de Mgr Bataillon , on vint m'avertir qu'il y avait un navire en vue. Bientôt je sus que c'était la goélette des missionnaires protestants, qu'ils cherchaient à entrer par la passe située derrière l'île, et que leur canot avait déjà mis à terre plusieurs personnes. Je courus sans délai vers la paroisse voisine du lieu de leur débarquement, ponr être plus à portée de connaître leurs menées, et bien décidé à leur résister de tout mon pouvoir s'ils cherchaient à infecter le trou- peau. Deux ministres anglais descendirent en effet à Poï, avec quelques naturels de Tonga et de INiuka; mais ils n'y restèrent qu'un jour, et repartirent très-inquiets, dit-on, du voyage de Mgr le Vicaire apostolique à Tonga et à Fidji.
« Quelques jours après je reçus une lettre à l'adresse de Monseigneur; le second de la goélette, qui était ca- tholique, l'avait laissée à terre ; elle était du P. Chevron, Missionnaire à Tonga. Ce confrère , rendant compte des efforts tentés par l'hérésie pour entraver son ministère, disait à Sa Grandeur que les protestants calomniaient également la France et le catholicisme dans leurs ser- mons ; qu'ils avaient ordonné des prières publiques et des jeûnes pour préserver l'île de l'arrivée d'un navire de guerre français; qu'ils peignaient nos compatriotes aux in- digènes comme leurs plus grands ennemis, comme des en- vahisseurs qui cherchaient à s'emparer de leur pays pour
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les réduire en esclavage. De telles calomnies font une grande impression sur ce peuple, naturellement ombra- geux, et méfiant à l'égard des étrangers, et plus jaloux de son indépendance qu'aucune nation du monde. Vous pouvez juger quelle défaveur en résulte pour les prêtres catholiques , qu'on cherche par ce moyen à faire passer pour des agents politiques , préparant les voies à une usurpation.
tt II est arrivé dernièrement un baleinier américain à Wallis, ayant à son bord une vingtaine de protestants in- digènes de Niuka, qui avaient demandé à être transpor- tés ici. Nous apprîmes, par eux et par un Anglais qui était resté quelques années dans leur île, quels traite- ments les ministres font subir à ces pauvres naturels. C'est incroyable! Pour certaines fautes, on les flagelle à coup de corde jusqu'à ce qu'ils soient tout en sang. Plusieurs même expirent sous les coups. A d'autres on arrache les cheveux et les sourcils. On nous fit une telle peinture de ces cruautés, que nous n'aurions pu y croire , si nous n'avions vu nous-mêmes les marques de la torture em- preintes sur le corps de ceux qu'on débarqua. Quelle triste position que celle de ces peuples, condamnés à marcher sous le fouet^ comme les animaux , parce qu'on ne leur a inspiré que la crainte du maître, au lieu de leur apprendre à aimer la vertu !
« A Wallis, nous n'avons aucune législation, aucun code pénal;, point de tribunaux; et cependant toute la po- pulation se conduit bien, par la seule grâce de Dieu et le secours des sacrements. Depuis que je suis ici je n'ai en- tendu parler d'aucun délit, si ce n'est de quelques accès de colère momentanés ; mais en même temps qu'on ap- prend la faute, on apprend aussi la réparation : le cou- pable vient de lui-même auprès de nous recevoir sa peine, qui n'est qu'une simple réprimande. En faut-il davantage pour des cœurs si bien disposés !
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a Ce qui entretient dans les habitants de Waîlis le sen- timent et Tamour du devoir, c'est qu'ils sont très-avides de lu parole de Dieu. Outre les instructions des Mission- naires, il y a dans chaque village et petits hameaux des catéchismes d'hommes, de femmes, d'enfants : les plus instruits d'entre eux enseignent les autres ; chacun se confesse et communie environ tous les mois ; partout on récite, le soir , le chapelet en commun , suivi d'un can- tique à la sainte Vierge. Quoique toutes les maisons restent ouvertes , la nuit comme le jour , on n'entend jamais parler de vol. Dernièrement les officiers d'un na- vire français voulurent éprouver nos naturels sur ce point. Ils laissèrent traîner à dessein , sur le pont, des hameçons et autres objets capables d'exciter leur convoi- tise ; mais les néophytes s'empressaient de les porter aux matelots , croyant que c'étaient des objets oubliés par mégarde.
« Ce n'est pas assez pour les Wallisiens de se montrer fidèles observateurs de l'Evangile ; ils voudraient encore en être les apôtres, et aller porter la foi parmi les ido- làti"es et les hérétiques. Les jeunes gens demandent en foule à partir avec les Missionnaires. Mgr Bataillon , cé- dant à leurs instances, en a emmené quelques-uns à Tonga et à Fidji. De ce nombre était un petit garçon d'une quinzaine d'annés , nommé Sekvaîio (Gervais). Sa piété, qui en faisait un petit ange, avait décidé Monseigneur à l'admettre parmi ses compagnons de voyage, et le bonheur de l'enfant était à son comble. Peu de temps après , je le vis tout en larmes ; il n'avait pu obtenir de ses parents la permission de s'embarquer. Je tâchai de le consoler en lui disant que plus tard nous pariirions ensemble ; mais cette promesse ne convenait pas à Timpatience de son zèle. Tout à coup on remarqua qu'il avait disparu ; on le chercha partout ; euûn , après plusieurs jours, on le
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trouva. Il s'élail glissé furtivement à bord de V Adolphe^ et s'était caché à fond de cale; il se tenait là blotti, espé- rant que le navire partirait bientôt, et qu'une fois au large, il ne serait plus temps de le remettre à terre; mais le vaisseau tardant trop à lever l'ancre, Seleiatio fut trahi. Cependant il trouva sur le pont un de ses parents, et le pria d'intercéder pour lui auprès de son père et de sa mère , qui se laissèrent enfin toucher et consentirent à s(jn départ. Quand on lui demandait pourquoi il avait agi de la sorte, il s'imaginait en donner une bonne raison en disant : « Je voudrais bien savoir si l'Evêque et nos « .Missionnaires ont attendu la permission de leurs parents « pour quillcr la France. S'ils l'avaient fait, nous serions « encore dans notre fakadevolo (paganisme). »
« Mgr Bataillon a emmené aussi un homme mariée nommé Philippe. C'est un prodige de mémoire et d'intel- ligence ; il sait tous les dialectes des archipels voisins, ainsi que l'anglais et un peu de français. Ces langues, i^ les a apprises je ne sais comment^ dans le but d'être utile à la Mission.
« Tandis que les jeunes gens de Wallis prêtent à nos efforts un concours si généreux , et font souvent plus de bien que les Missionnaires par leur zyle et leurs exemples , les vieillards continuent d'être pour nous un sujet d'édifi- cation ; ils ont encore pour la plupart leur innocence bap- tismale. C'est merveille de voir, sous ces traits et ces dehors sauvages, une douceur toute chrélienne. L'un d'eux^ que le commandant de ï Embuscade a surnommé le vieux tigre, parce qu'il en a effectivement les traits, est bien l'homnie de l'aspect le plus farouche qu'il soit possible de rencontrer. Sou vrai nom est Honorio ; il est premier ministre du roi. Il fut un des plus ardents persé- cuteurs de Mgr Bataillon, à son arrivée dans l'île. Main- tenant c'est un agneau. Quand il séjourne à Saint- Joseph,
16 je suis sûr de le voir arriver tous les matins avec sa }>etiie racine de cota «qu'il vient nous offrir. Le soir, il ne peut se retirer chez lui sans nous avoir touché et baisé la main, en signe d'amitié. S'il ouvre la bouche dans les as- semblées ;, c'est surlout pour recommander le respect et la soumission aux Missionnaires. « Pour m.oi, dit-il , je suis « frère d'un vieux arbre penché sur le bord d'un abîme, a Je vous ai donné autrefois de bien mauvais exemples. a Voici maintenant les guides que vous devez écouter, et o qui conduiront votre pirogue au ciel. » Ce bon vieillard a versé bien des larmes au départ de Monseigneur ; il ne pouvait rester deux jours sans le voir et lui demander sa bénédiction ; aujourd'hui il se console auprès du Saint- Sacrement; et, dans l'exercice de cette dévotion qui lui est chère^ il attend en patience son retour.
a 19 août. — Monseigneur vient d'arriver. Je com- mençais à être inquiet de sa longue absence. Les vents lui ont presque toujours été contraires. Il n'a pas réussi à Tonga comme il l'aurait désiré, à cause des calomnies débitées par les ministres protestants contre nous , et surtout contre la France , dont ils nous représentent comme les agents ; c'est au point que la qualité de Français est aujourd'hui un litre d'exclusion dans toute l'Océa- nie. Espérons que cette persécution d'un nouveau genre ne durera pas longtemps; la vérité touche de près au t riomphe , quand l'enfer a épuisé toute la série de ses mensonges.
« Maintenant voici notre saint Evéque rentré à Wallis, et je suis tranquille ; si nous avons à souffrir, nous souf- frirons ensemble. C'était sa première absence ; aussi le re- tour a-t-il éié une fête. Dès le point du jour, aussitôtqu'on put apercevoir son navire au loin dans la brume,les natu- rels vinrent me réveiller avec des cris de joie : rakapopa- îagi Epiliopo! Epiliopo! Le vent était excellent; le vais-
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seau mouilla bientôl en face de l'éijlise de S;iini- Joseph. Aussitôt j'allai avec les enfants de chœur au bord de la mer, pour faireau premier pasteur une réception solennelle. Quand le canot aborda, des larmes de bonheur coulaicni des yeux de tout ce peuple rangé sur le rivage. Après les cé- rémonies ordinaires. Monseigneur entra à Téglise, prêcha, et célébra la sainte messe. C'était pour l'île entière une joie que je ne puis exprimer. Pendant les trois jours que In Prélat resta dans ma paroisse , la maison qu il habitait ne désemplit pas; chacun venait le visiter, lui apporter du cava^ et lui demander sa bénédiction.
« Les insulaires de Tonga que Mgr le Vicaire aposto- lique a amenés avec lui, au nombre de sept ou huit, ont été aussi parfaitement reçus. Pour la plupart ils ne sont pas encore baptisés. Le but de leur voyage est d'étudier Wallis, d'examiner ce qui s'y passe, afin d'aller ensuite en rendre compte à Tonga, et confondre par leur témoi- gnage les calomnies des protestants. Ils paraissent très- bien disposés, et je crois qu'il ne faudra pas beaucoup de temps pour les rendre bons catholiques.
Mathieu, Miss, apost.n
TOM. XYIII. 104.
IS
Lettre du P. Roulleaux , Missionnaire apostolique de la société de Marie, au Procureur des Missions de la même société.
Tonga , le 2i juillet 18i4.
« Mon Révérend Père ,
a Le silence que j'ai gardé si longtemps avec vous a dû vous surprendre , après tous les soins dont vous m'avez entouré jusqu'au fond de l'Océanie. N'allez pas cependant m'accuser d'oubli et d'indifférence. La faute en est à nos occupations si multipliées et surtout au manque d'occasions : presque toujours placé loin des lieux oii abordaient les navires , je n'avais connaissance de l'ar- rivée d'un bâtiment que lorsqu'il était reparti. Enfin, au- jourd'hui que je me trouve à TongataboU;, dont Mgr Ba- taillon fait la visite pastorale , il me reste quelques in- stants avant notre départ pour les îles Fidji, où nous allons, le Père Bréhéret et moi , jeter la divine semence ; j'en profite pour vous confier mes souvenirs de peines et mes sujets de joie.
o J'ai passé deux ans à Futuna , et c'est dans cette Mission que j'ai commencé l'exercice du saint ministère, au milieu des plus vives contradictions. Nous avions été précédés par un jeune chef des îles Wallis , homme doué de véritables talents , mais qu'il emploie au triomphe des plus mauvais desseins. Il s'était fait accompagner de deux cents naturels, qui, pendant une année de
19 séjour à FulUDQ_, ont fait un mal qu'il nous a été im- possible jusqu'ici de réparer entièrement. Profitant du peu de connaissance que nous avions de la langue pour accréditer leurs calomnies, ils ont prévenu le.s Futuniens contre nous, ranimé le feu de la discorde entre deux factions rivales, et ressuscité les ancien- nes superstitions, que les insulaires avaient aban- données d'eux-mêmes depuis la mort du R, P. Chanel. Deux fois nous avons vu la guerre sur le point d'écla- ter; on a tenté d'assassiner le nouveau roi , qui est ca- tholique fervent; on a fait mille etforts pour empêcher la construction de nos deux églises, de celle surtout qui a été élevée sur le lieu même où le premier mariyi de l'Océanie a versé son sang.
« Pour que nous ne pussions pas nous méprendre sur le vérible auteur de toutes ces tracasseries, c'était aux fêtes de la sainte Vierge que le démon nous suscitait plus d'entraves. A l'une de ces fétes^ nous allions comme d'habit!;de, le frè- re Marie-Nizier et moi, nous mettre à la tête des travaux de l'église. La veille, tout était calme et tranquille dans Futuna. Aussi, quelle ne fut pas notre surprise de rencon- trer les naturels par bandes qui , la lance à la main, cou- raient comme des furieux vers la vallée où était notre demeure. Nous leur demandâmes ce qu'il y avait ; au lieu de nous répondre, ils criaient : « Où est le roi? où esr le roi? — Nous leur dîmes qu'il assistait à la messe au Père Servant. — Non, non ; on veut le tuer, nous couron.-? le défendre ; » et il nous fut impossible de les retenir.
« Plus loin , nous vîmes les femmes qui se sauvaiea': vers les montagnes pour y cacher ce qu'elles avaient d- précieux , et leurs enfants qui les suivaient en pleurant. Eh bien! cette épouvante n'avait aucim motif fonde, et une heure après , tout notre monde détrompé se réu- nissait autour de nous pour le travail.
2.
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« Nous eûmes bien d'autres difficultés au sujet de l'église de Poï. Pendant deux mois , il nous a été im- possible de la commencer ; chaque jour amenait un nouvel obstacle. Enfin , après les avoir tous écartés l'un après l'autre , je partis avec le frère Marie-Nizier pour diriger la construction. Toute la population de ces N-allées était convoquée autour de la croix. Je deman- dai qu'on nommât quelqu'un pour présider aux travaux, et les voix se réunirent en faveur du fils du roi assassin , actuellement chef d'une partie de l'ile. Dans une courte exhortation , j'invitai les naturels à se conduire d'une manière digne de l'œuvre sainte à laquelle ils allaient se li>Ter : « Ce n'est pas ici , leur dis-je , une habitation ordinaire , c'est un temple que vous élevez à Dieu , sur le lieu même où fume encore le sang de votre premier apôtre. « Je donnai ensuite le signal pour se mettre ù genoux , et nous récitâmes tous ensemble à haute voix le Pater, VJve et le Credo; je fis le signe de la croix, et l'on se mit à l'ouvrage.
« Les quatre assassins de nQtre confrère étaient ià. Je leur dois ce témoignage, ce sont eux qui ont montré le plus d'ardeur et de bonne volonté, surtout celui qui avait frappé le premier coup. Tout son extérieur annonçait un sincère repentir, et je ne me rappelle pas l'avoir vu rire une seule fois pendant toute la durée des travaux.
« L'église de Poi est assez bien ; elle a soixante- quinze pieds sur trente; l'entrée regarde la msr; dans le sanctuaire se trouve renfermé l'emplacement que le R. P. Chanel habitait ; la partie droite de l'autel cou- vre le lieu où il était assis quand il reçut le coup de la mort ; l'endroit où reposait sa tête et où a coulé son sang est aussi à droite, dans le sanctuaire, prè^ de la balustrade; la croix qui l'indique , est telle que l'a plan- tée Mgr Pompai! ier.
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« L'('glise s'ache>'îlU, lorsque noire bonne Mère nous déli\Ta du plus grand ennemi de notre Mission. Le chef dont je vous ai parlé, abandonna Futuna avec sa bande. Nous respirâmes alors, le Père Servant et moi. Nous com- mencions à nous faire comprendre assez bien des naturels; nous nous adonnâmes donc avec une ardeur toute nouvelle à leur instruction.
a Dès ce moment , les choses changèrent de face. Nous n'eûmes pas de peine à faire comprendre aux néophytes qu'on les avait trompés , qu'ils s'étaient laissé séduire par des ennemis de leur repos. Le jour ne suffisait plus pour entendre les confessions ; il fallait y donner une partie des nuits. Peu à peu les abus disparurent, et aujourd'hui cette Mission est dans un état florissant. Tous les natu- rels sont baptisés; déjà une bonne partie d'entre eux a fait la première communion; ils se conduisent d'une manière vraiment édifiante, qt avec autant de régularité que les plus fervents chrétiens d'Europe ; il ne leur man- que qu'une instruction plus complète. Encore un an ou deux , et Futuna sera , je pense , la plus belle Mission du vicariat apostolique de l'Océanie centrale. Le peu de communication qu'elle entretient avec les étrangers, l'amour du travail et la force du caractère de ses habi- tants me confirment dans cette opinion.
« D'ailleurs, la conversion de ce peuple est toute de conviction, elle n'a rien eu d'intéressé. Nos néophytes n'ont pas été gâtés par les présents. Depuis que nous sommes parmi eux, nous ne leur avons rien donné, puis- que nous n'avions rien pour nous-mêmes ; et , comme si la divine Providence voulait continuer encore une situation que la nécessité avait faite, tous les objets que vous nous avex envoyés de France à la fin de 1841, ou ont été engloutis dans les flots , ou ont été gardés par le baleinier chargé de vous les remettre ; rien^ absolu-
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ment rien n'a paru à Futuna. Dernièrement encore la poi'tion d'effets que Mgr Bataillon destinait à cette île, il été presque en toiaiité consumée par les flammes.
« On remarque parmi les Futuniens plus de simpli- t-ité qu'à Wallis, plus d'énergie qu'à Tonga. Ce sont des hommes qui raisonnent^ qui réfléchissent : ils ne se rendent pas aisément; mais une fois convaincus^ ils prennent leur parti avec fermeté , et ne retournent pas en aiTÏère.
« Puissent les Fidjiens, vers lesquels je suis envoyé ^ leur ressembler! Mais ce que j'ai appris d'eux ne me permet pas trop cette espérance; on les dit féroces jusqu'à l'anthropophagie. Si ^ de mon côté , il me fallait être dévoué jusqu'à la mort, j'emporte avec moi un sou- venir qui m'en donnerait la force : Mgr Bataillon m'a confié la croix de Misiionnaire que portait noire vénéré Père Chanel; sa vue m'animera à tous les sacrifices. Veuillez, mon révérend Père, nous obtenir par vos prières les grâces dont nous avons besoin dans une Mission si difficile , et croire aux sentiments de respect et de re- connaissance avec lesquels je suis , etc.
« J. F. RouLLEAUx, Missionnaire apostolique.
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Ltttre du R. P. Grange, Missiomiaire apostolique dt la socitté de Marie ^ ci un Pire de la même société.
ToDca, Mars 1844
« Mo?i RÉVÉREND PÈKE ,
« Ce qu'on nous adresse à ce bout du monde nouf arrive bien lard, si tant est qu'il nous arrive. Mais ne vous lassez pas de nous cerire, je vous en conju- re; confiez à la nier autant de lettres que vous pour- rez : elle ne sera pas toujours cruelle, et, quelque jour, «M flot bienfaisant jettera sur la rive un de vos doux: messages , que je recueillerai avec bonheur et recon- naissance.
« Vous me demandez , mon Père , quelle est mon occupation à vos antipodes. Eh! ce que vous faites en France , je le fais dans mon île ; seulement je le fais moins bien que vous. Je m'instruis et j'instruis les autres; j'apprends à nos kanacks la fin pour laquelle ils sont sur la terre ; je les presse de quitter le mensonge pour la vérité. Il en est qui m'é^ouient et qui mettent mes enseignements en pratique : ceux-là sont ma consolation. D'autres prêtent une oreille assez attentive à mes paroles, sans se donner la peine de réformer leur vie ; mais le grand nombre juge ma doctrine trop sévère , et j'ai la
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douleur de les voir s'éloigner de moi , au moins pour un temps. Le soleil fait en vingt-qualre heures le lour du globe, et partout il trouve les hommes avec le même caractère et les mêmes inclinations ; partout il les trouve de glace pour leurs intérêts éternels , et tout de feu pour la vanité et le mensonge.
a Comme vous encore , je dis mon bréviaire , je tâche de me recueillir pour prier , je célèbre la sainte messe à peu près tous les jours ; mais c'est pendant votre re- pos, de même que vous faites ces saintes actions pen- dant que je me livre au sommeil ; et si je m'en acquit- tais avec ferveur , nous accomplirions à la lettre les pa- roles du Psalmisle : Dies diei éructât verbum, et nox nocti indicat scientiam. Ainsi nous formerions comme deux chœurs qui chanteraient alternativement les louanges du seigneur Jésus ^ et notre Dieu serait glorifié dans tous les temps comme dans tous les lieux : à moi seul est la faute si la perfection manque à ce pieux concert.
« Dans mes lettres du mois de juillet dernier , que vous connaissez sans doute (1), je parlais en détail de Tonga et de ses habitants; aujourd'hui je vais détacher quelques pa- ges de mon journal , pour vous mettre au courant des difficultés que nous rencontrons dans la prédication de l'Evangile, et des espérances que nous pouvons conce- voir.
« Depuis cette époque , Dieu nous a ménagé bien des épreuves qu'il a cependant fait tourner à sa gloire^ après s'en être servi pour nous purifier. D'abord les mission- naires Wesléiens ont redoublé leurs calomnies contre nous; je n'en suis pas surpris : chaque jour ils voient décroî- tre leur influence, et la nôlre grandir en proportion; ils voient que ceux de leurs coreligionnaires , qui peu-
^■i) Voir les lettres de ce Missionnaire, n" 98.
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vent avoir des communications avec nous, finissent tou- jours par se ranger de notre côté , sans qu'ils obtien- re:it le même avantage do leurs rapports avec nos chré- tiens. La raison en est, en dehors de la grâce, que nos disi'iples ont fait librement profession de notre sainte foi , tandis que les adeptes de l'hérésie y ont été amenés par la violence. Parmi nos néophytes de Wallis, un seul qui habitait la grande tribu protestante , consen- tit après maintes sollicitations h se dire enfant de la réforme ; mais cette apostasie de quelques jours n'a servi qu'à prouver une fois de plus , et par un témoignage irrécusable , que les ministres appellent l'intimidation en aide à leur prosélytisme. Quand arriva le saint jour de Pâques , voyant ses frères catholiques aller à la table sainte goûter un bonheur dont il s'était privé par sa fai- blesse, notre prodigue vint en pleurant se jeter h nos pieds et implorer la grâce d'être admis à la communion de l'Eglise. 11 demanda aussi pardon à ses frères du scan- dale qu'il avait causé , en s excusant sur la violence qu'on lui avait faite.
La confession^ qui paraît au premier abord une prati- que si onéreuse à notre orgueil , a été embrassée avec joie dans notre île. J'avoue que les ministres protestants y ont bien un peu contribué ; car ils exigent de leurs adeptes la confession et la pénitence publiques. Sans doute que nos insulaires ont vivement apprécié la dou- ceur du joug de Jésus-Christ , qui ménage la faiblesse du pécheur en couvrant sa confusion volontaire du secret le plus inviolable. D'ailleurs nos kanacks avaient déjà une espèce de confession , avant l'arrivée des Eu- ropéens. Elle se pratiquait surtout en cas de maladie. Dans leur opinion , si quelqu'un est visité par la souf- france, c'est toujours pour avoir «ffensé une divinité qui lire ainsi vengeance du coupable jusqu'à ce qu'il
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s'humilie ; et , lorsque îe malade est trop faible pour s'accuser lui-même , un ami qui connaît sa faute en fait en son nom l'aveu réparateur.
« On comprendra mieux combien cet antique usage nous favorisait, quand on saura jusqu'où vont les pré- tentions vaniteuses de ce peuple, dont l'orgueil égale, si toutefois il ne surpasse pas son extrême pauvreté. A leurs yeux un Européen est à peu près ce qu'est ailleurs un nègre esclave. Nos kanacks disent sans façon : Mon blanc, mon Européen, comme nos planteurs des Antilles disent : Mon nègre, mon esclave. Je n'approuve certes pas rEuropéen qui méprise son frère, parce qu'il est noir ; ei néanmoins je reconnais qu'il lui est de beau- coup supérieur par les connaissances et la civilisation. Mais qu'un pauvre insulaire de Tonga nous foule aux pieds et nous méprise comme une race déchue, c'est par trop ridicule. Quoi qu'il en soit , un des principaux chefs, celui qui nous a reçus sur ses terres, nous tra- cassait depuis longtemps , et prétendait même nous dicter des lois dans les affaires du culte : Si le catholicisme faisait auloriié, disait-il ;, c'est parce qu'il était sa reli- gion , et non parce qu'il avait été apporté par les deux vieux.
« Dans la crainte d'une rupture générale, nous ne lui avions résisté que légèrement; enfin à l'cccasion d'une grande fête, ce chef prit un arrêté qui défen- dait la danse à nos néophytes , et qui la commandait , sous peine d'une rude amende, à ceux qui n'étaient pas baptisés. Peut-être rirez-vous ! mais nous vhnes dans cette ordonnance un danger sérieux pour la Mission , et voici comment. Dès notre arrivée dans l'île, nous avions dit aux naturels que plusieurs de leurs danses étaient permises : en effets il en est qui s'exécutent avec une convenance parfaite ; elles ont lieu entre personnes
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du mêmt sexe , et encore pour s'y livrer prenneni-ils des habits plus décents que de coutume. Si .nous lais- sions interdire à nos chrétiens ce que nous avions d'abord reconnu licite , nos adversaires étaient là pour nous accuser de mensonge : ils n'auraient pas manqué d(3 dire que leurs prédictions se réalisaient ; qu'après nous être introduits sous le masciue de la tolérance , nous commencions à tyranniser nos disciples ^ et que nous ne nous arrêterions qu'après les avoir faits esclaves. Nous voulûmes donc maintenir à la lettre ce que nous avions professé : tout d'abord nous avions promis la liberté^ nous ne voulûmes pas qu'au nom de la religion , un chef vînt y porter atteinte.
« Nous lui déclarâmes donc que son ordonnance n'était pas juste. A ces mois, il s'emporta devant toute l'as- semblée et dit : « De quoi se mêlent ces deux blancs, « jetés par les vagues sur mes terres? chez qui demeu- « rent-ils? n'est-ce pas chez moi? » Nous lui répondîmes aussi en présence de tout le monde : « C'est vrai , a c'est chez toi que sont logés ces denx blancs ; ils t'en « remercient; mais sache qu'ils ne sont pas ici pour a faire ta volonté; ils y sont pour te montrer le che- « min du salut , ainsi qu'à tout peuple disposé à les « entendre. Us habitent chez toi, mais si tu n'es pas « content , tu n'as qu'à le dire ; ils trouveront à s'abri- « ter ailleurs; toutes les terres ne finissent pas au bout « de ton domaine , et plusieurs chefs qui sont ici par- « tageront volontiers avec eux leurs cabanes. Tu peux « commander à d'autres blancs , mais non à ceux qu'en- « voie le Très - Haut, Nous remplirons notre mission « avec une entière indépendance, et si personne ne veut « nous recevoir , nous n'aurons pas moins fait ce que « nous devions. Comme nous l'avons dit plusieurs fois, « nous partirons avec les bénédictions que nous étions
« venus l'apporter, Délaissant p€ut4lre derrière nous « que la malédicrion divine. »
« A ce mot de malédiction , il baissa la tête et garda un profond silence. Nous nous éloignâmes alors de lui, suivis de plusieurs insulaires qui nous prièrent de lui pardonner : Ce n'était , disaient-ils, qu'un accès de colère qui passerait bientôt. A l'entrée de la nuit il envoya un de ses enfants nous demander si nous voulions le voir; nous répondîmes qu'il pouvait se présenter, que nous n'avions jamais de haine contre personne. Il accourut aussitôt, portant une grossQ racine de cava, et accompa- gné d'un des plus sages vieillards , qui venait de faire sa première communion. Il s'assit à la porte de notre cabane , et lorsque nous lui eûmes fait de nouvelles instances pour entrer, il se jeta à nos pieds tout bai- gné de larmes, nous demanda pardon et nous baisa les mains , puis , la tête baissée et dans un morne si- lence;, il attendit humblement nos reproches. Quand il vit qu'au lieu de l'en accabler, nous l'assurions à di-